Descriptif
« Un Chinois qui s’apprête à écrire — disait un jour François Cheng — est persuadé que le souffle qui traverse son bras est de même nature que le souffle primordial par qui naissent, éclosent et vivent tous les êtres sur terre(1) ».
Le souffle des idéogrammes
Religion au sens propre, cette foi dans le pouvoir agissant de l’écriture est une réalité profondément ancrée dans le cœur de tout Chinois. Lors de sa visite en Chine, dans les années trente, le poète Henri Michaux l’avait bien perçu : « Ces caractères, illisibles à des centaines de millions de Chinois, ne leur étaient pourtant pas lettre morte. Tenus hors du cercle des lettrés, les paysans les regardaient sans les comprendre, mais non sans les ressentir(2) ». Ce souffle subtil qui anime les idéogrammes n’est pas réservé aux seuls habitants des rives du Fleuve Jaune. Il est directement accessible à tous ceux qui, lettrés ou non, pratiquent les arts physiques chinois. On peut s’en approcher le pinceau à la main, comme Fabienne Verdier, mais on peut aussi le faire sans aucun instrument. Lorsqu’on pratique le Taiji Quan ou le Qi Gong, lors le corps se fait pinceau et l’espace feuille ; les outils diffèrent, le ressenti, non.
Un art physique
L’image des mandarins mandchous aux ongles démesurément désœuvrés, nous empêche d’imaginer à quel point l’écriture des idéogrammes de grande taille peut constituer un engagement physiquement intense, pouvant aller jusqu’à la performance athlétique : « Il faut avoir assisté à la réalisation d’une calligraphie de grande taille pour réaliser à quel point un mouvement de tout le corps se rassemble dans l’épaule, parcourt le bras, enserre le poignet et la main pour aboutir au manche et à la fine pointe du pinceau. La respiration contrôlée entretient le mouvement, la concentration et l’effort ! (…) On ne peut calligraphier négligemment(3) ».
Un art martial
On ne se prépare à écrire qu’avec le recueillement d’un chevalier allant au combat. Wang Xi Zhi, le prince des calligraphes qui vivait au quatrième siècle de notre ère, n’hésitait pas à dire : « Le papier est le champ de bataille, le pinceau l’épée, l’encre l’armure, l’encrier les douves ». Qui s’apprête à écrire, commence par rentrer en son for intérieur, s’y vide de lui-même pour s’emplir d’énergie, puis, au terme de ce moment Yin de la création analogue au prologue immobile ...